Nous sommes une famille de 6 qui avons eu le bonheur de vivre sur notre voilier Perla VII durant près d'un an

Pis ton voyage?


De retour sur la terre, le monde des terriens, avec les autos qui vont vites, la vie qui va vite.  Et nous, on va toujours à la vitesse du vent.

 Retour à la vie normale.  Normal, quel mot plate.  Un mot qui peut rassurer quand ça va mal.  Mais quand on parle de la vie et de nos projets, je n’aime pas le mot normal, c’est trop normal, c’est déprimant.

Quoi faire pour contrer la déprime?  Je regarde autour de moi… voilà, le toit du cabanon coule, le plancher est fini alors,  on construit un cabanon!  Ah oui, il faut aussi acheter une nouvelle voiture, de nouveaux vélos pour les filles, de nouveaux vêtements, le matériel scolaire, tailler la haie…ouf, ça va trop vite.  On ne peut pas tenir ce rythme. On ne peut pas construire sans cesse des cabanons pour oublier l’eau bleue.

J’entre au centre d’achat pour la première fois depuis 1 an, ma nouvelle affectation m’oblige à renouveler ma garde-robe.  Fini les sandales qui m’ont si bien protégé des petits cailloux et coquillages dans le fond de l’eau.  Fini mes t-shirts délavés par le soleil, mes shorts déchirés et troués.  Terminé mon maillot de bain, fier partenaire de mes chasses sous-marines. Fini ma petite casquette et mon chapeau qui permettaient à mes cheveux de pousser au gré du vent et de prendre une teinte blond Bahamas.

-Pis ton voyage
-ha c’est incroyable, la vue, l’eau, le sable, les poissons …le plus difficile c’est de revenir.
-Des regrets?
-Oui, ne pas être parti plus longtemps.
- Ça doit être le voyage d’une vie?
-Non, je souhaite que ce soit le point de départ de quelque chose , pas une fin en soi.
-Est-ce que le retour est difficile?
-Oui, tout change, tout est trop facile, trop vite.
-Pis as-tu vécu des aventures ?
-Oui pleins…..Silence…
…. Je veux tout raconter, mais je me sens trop lent.  On dirait que je parle trop lentement pour ceux qui m’écoutent.  Les mots ne viennent pas , chaque fois que je raconte mes histoires, je revis mon voyage.  Tu dois être dans ma tête pour comprendre mon voyage, je ne peux pas le résumer en une poignée de main.

 Viens prendre un café, je vais te décrire les différentes teintes de bleus dans lesquelles mon bateau voguait.  Viens diner, je vais pouvoir te dire comment je me sentais bien sous l’eau à chercher les langoustes.  Viens marcher, je vais t’expliquer comment nous avons vécu nos ouragans et nos tempêtes .  Viens souper, je vais te parler toute la soirée des plus beaux couchers de soleil au monde que nous avons admirés tous les soirs avec notre coupe de vin.

Je veux en parler longtemps, je veux continuer à le vivre, je ne veux pas que ça cesse.

Le retour au travail avec plein de collègues qui nous ont suivis, qui s’intéressent à notre aventure, qui ont des questions.  Ça fait aussi parti du voyage, de raconter, de faire voyager les autres avec nos récits, nos images.  Mais nous demeurons en décalage du monde, nos discussions ne sont plus les mêmes. Un an de voyage, ça ne se raconte pas comme un tout inclus  à Cancun.

Nous avons besoin de revivre notre voyage.  Nous cherchons les teintes de turquoises dans le fleuve St-Laurent au travers des grues et des barges du nouveau pont Champlain.  À la moindre brise de vent, on tourne la tête pour savoir d’où il vient.  Assis sur notre balcon, nous cherchons l’horizon pour pouvoir dire bonne nuit au soleil, mais non, la haie est trop haute, il y a trop de maisons, trop de bâtisses.

Nous savons que la déprime approche, tous les autres voyageurs nous l’ont dit : c’est pas facile de revenir.  Sortir du rêve, tomber du nuage, revenir à la normale.

On se rappelle qu'un rêve a pris fin,  mais que plusieurs autres se poursuivent.  Cette famille, cette maison, cet emploi,  nous l’avons aussi rêvé.  Un rêve qui se termine en fait naitre d'autres. C'est justement la possibilité de réaliser un rêve qui rend la vie intéressante (Paolo Coelho, l'Alchimiste)  alors ça y est, c’est confirmé, nous sommes accros aux rêves.

Alors en attendant le prochain départ, je termine de clouer le bardeau sur le toit de mon nouveau cabanon.  Une grosse journée de travail, vite il faut terminer avant la noirceur.  C’est à ce moment que Cynthia, assise sur le toit   me fait remarquer : Wow Eric, regarde, c’est comme sur Perla,  on voit le coucher du soleil… allons chercher nos coupes de vin!

 Eric






Commentaires

Unknown a dit…
Allô Eric c'est Sarah de mon Ile ton texte m'a touché... Cynthia tu as fait un superbe texte aussi sur le retour. Courage

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